Instagram lance le « compte ado » pour protéger les mineurs
Mi septembre, Instagram annonçait déployer une nouvelle fonctionnalité pour mieux appréhender l’utilisation de sa plateforme par les plus jeunes : « le compte ado« .
À première vue, cela semble être une bonne idée ; plus d’encadrement de la part de la plateforme et des parents donc moins de dérives possibles… Et pourtant, comme souvent en matière de régulation des plateformes sociales, la restriction n’est pas la réponse la plus adaptée.
Alors, fausse bonne idée ou fausse bonne idée ? On tranche !
Les enfants, ce marché qui vaut de l’or
Ça n’est pas une surprise, l’audience infantile est une mine d’or pour les réseaux sociaux. Les enfants sont déjà captivés par les écrans (TV, consoles et maintenant smartphone des parents) alors un de plus ou de moins…
Depuis plusieurs années, on assiste à une adaptation de l’expérience de certaines plateformes sociales pour un public très jeune : YouTube Kids, lancé en novembre 2016 en France, Messenger Kids déployé en 2020, Instagram Kids initié en 2021…
Si la promesse est positive (proposons un espace dédié aux plus jeunes afin qu’ils puissent profiter de nos services en toute sécurité) la réalité reste d’encourager un public très jeune à consommer du contenu, à interagir avec d’autres, à commenter, partager, comprendre les codes etc… en bref : des élevages à socionautes.
En 2023, YouTube Kids (destiné à un public âgé de 2 à 12 ans) atteignait le demi-million de téléchargements cumulés dans le monde entier, pour une audience qui s’étend de -4 ans à 12 ans.
La jeunesse et les réseaux sociaux
Pourtant, les adolescents sont de plus en plus conscients des méfaits des réseaux sociaux sur leur santé mentale.
Ils en prennent conscience grâce à des youtubers qui décortiquent les mécanismes de fonctionnement des plateformes les plus utilisées du moment (je vous renvoie à la vidéo « choc » de Léo Duff sur TikTok et son emprise sur nos systèmes neuronaux) ou bien par l’analyse de leur propre état mental.
Lorsque l’on regarde le nombre d’utilisateurs mensuels de certaines plateformes d’année en année, on observe que celui-ci baisse légèrement. De plus en plus conscients du vortex temporel dans lequel ils sont happés dès l’ouverture de TikTok ou d’Instagram, ceux-ci parviennent à réduire leur temps d’écran, voire désinstallent les applications pour les plus courageux (le terme courageux est ici à propos puisqu’être sur les réseaux sociaux est un marqueur social qui traduit un sentiment d’appartenance, ne pas ou ne plus être sur TikTok, c’est décider de se mettre à la marge de ses pairs – choses difficile chez les adolescents où le besoin d’appartenance est indispensable)
Ainsi, le temps passé sur TikTok – qui était à plus de 90 minutes par jour il y a encore 1 an – est passé aux alentours des 80 minutes journalières. Fait amusant ; TikTok, lui-même, nuance à présent son discours commercial et ne se vante plus autant du temps passé sur sa plateforme.
Si cette baisse du temps d’écran est un signal positif, le problème persiste toujours :
« La santé mentale des adolescents décline depuis quelques années. Comparés aux générations précédentes, ils semblent avoir plus de problèmes comme l’anxiété, la dépression, les troubles du comportement alimentaire. », décrit Luisa Fassi doctorante au MRC Cognition and Brain Sciences Unit de l’Université de Cambridge.
Les conséquences d’une surexposition des plus jeunes aux écrans sont multiples :
▪️Conséquences cognitives : perte de concentration et d’attention
▪️Conséquences psychiques : affectation sur la santé mentale, sur l’estime de soi, augmentation de l’anxiété voire de la dépression chez les publics les plus fragiles
▪️Conséquences sociales : multiplication du cyber-harcèlement, confrontation à la pédo-criminalité
Confrontées à ces contre arguments de taille, il est évident que les plateformes travaillent d’arrache-pied pour redorer leur image et rassurer parents comme gouvernements.
E que s’apelerio « Compte Ado »
C’est ainsi qu’Instagram, après avoir abandonné son projet d’Instagram Kids en 2021, le recycle sous les traits d’un nouveau mode : le compte adolescent.
« C’est une mise à jour importante, conçue pour que les parents aient l’esprit tranquille », résume pour l’AFP Antigone Davis, vice-présidente du groupe californien chargée des enjeux de sûreté.
Cette nouveauté gravite autour de 2 points essentiels :
▪️ l’âge :
qui n’a pas déjà menti sur son âge ? Il sera à présent plus compliqué de le faire sur Instagram puisqu’il faudra confirmer son âge avec une CNI ou un selfie vidéo (on demandera donc à sa grande cousine d’envoyer sa plus belle duck face pour nous faire passer la douane)
▪️la supervision parentale :
– les comptes ados devront être reliés à un compte parental qui pourra regarder ce que fait son ado. Par défaut en compte privé pour les moins de 18 ans, si un jeune utilisateur souhaite passer en public, il faudra l’accord du compte adulte relié au sien.
– un parent pourra aussi décider de restreindre le temps d’utilisation de son enfant sur une durée totale ou bien sur des plages horaires spécifiques
– un parent pourra également regarder ce que son ado poste, les comptes qu’il suit, les contacts en commun, les personnes bloquées ou signalées, etc.
À ces nouveautés s’ajoutent la restriction des messages directs entre les adultes et les ados avec lesquels ils ne sont pas en relation sur Instagram ou sur Messenger, le contrôle d’audience et du contenu sensible et pour certains l’encouragement à consulter d’autres sujets (quand on est trop en boucle sur des contenus complotistes par exemple…)
In fine, fausse bonne idée ?
Que penser de tout cela ?
Primo, qu’il n’est jamais productif de taper sur celui qui essaye. On attribuera donc 10 points à Instagram pour comprendre que l’application pose problème et tenter d’encadrer la chose.
Secondo et malheureusement, de simples notions de pédagogie nous poussent à conclure que l’interdit n’est jamais pérenne :
▪️contrôler le compte Instagram de son adolescent, c’est s’immiscer dans sa sphère sociale nécessaire à sa construction.
▪️c’est également lui donner une raison supplémentaire d’être en opposition avec une figure parentale qui le contrôle et l’empêche de venir qui il veut être.
C’est aussi rendre Instagram moins attractif et offrir comme argument aux autres plateformes qui se fichent pas mal de la santé mentale ou de la sécurité de ses utilisateurs, venez chez nous, vous pourrez être libres !
Il ne faut pas voir le mode « compte ado » comme une fin en soi. Il est une composante intéressante d’une communication approfondie entre les adultes et les enfants/adolescents sur ce que sont réellement les réseaux sociaux, leurs avantages et leurs limites, leurs rouages et leurs algorithmes, leur potentiel et leurs dangers sous-jacents.
La restriction ne remplacera jamais la communication et une coupure imposée d’Instagram au diner ne remplacera pas non plus un repas d’échange où parents et enfants racontent leur journée, réfléchissent et s’amusent ensemble.